De la causalité esprit-matière...

Bonjour et bienvenue sur ce blog

Si vous refusez comme moi la nécessité scientifique d'un monde absurde ;

Si vous n'acceptez pas que le hasard soit considéré comme une cause agissante ;

Si vous tentez d'imaginer que notre monde (non restreint à l'univers observable) est causal mais que vous tenez aussi à votre libre-arbitre ;

Si vous n’aimez pas faire intervenir de façon trop triviale un Dieu à la volonté insondable pour expliquer ce qui vous échappe ;

Si ce que je vous dis ici vous parle ;

Alors soyez les bienvenus :

nous sommes sur la même longueur d'onde pour tenter d'imaginer, ensemble, autre chose réconciliant ce que nous proposent la science et la religion d'aujourd'hui dans leur opposition manichéenne.


Patrice Weisz

37-L'univers comme volonté

Une puissance unique sans raison et sans but ?37- schopenhauer




La philosophie a cela d'imprévue, qu'après avoir passé des journées entières à cogiter sur un sujet délicat, vous trouvez, au détour d'une page, un auteur l'ayant déjà clairement exprimé de façon admirable il y a déjà plus d'un siècle !
Cela vient de m'arriver avec Schopenhauer que je découvre aujourd'hui, et qui publia  " le Monde comme volonté et comme représentation" en 1818. Sa conception du monde est si proche de celle que je défend ici, sans l'avoir connu au préalable que je ne peux m'empêcher de le citer :
"Le monde comme représentation, c'est à dire au point de vue auquel nous le considérons uniquement ici, a deux moitiés essentielles, nécessaires et inséparables. L'une est l'objet; ses formes sont l'espace et le temps, d'où la pluralité. L'autre moitié c'est le sujet; elle ne se trouve pas placée dans le temps et l'espace, car elle existe entière et indivise dans tout être percevant."
...car le monde, par cela même que nous ne pouvons nous le représenter qu'au moyen de formes à priori, n'est que phénomène; par conséquent ce qui n'est applicable qu'en vertu de ces formes ne peut être appliqué au monde même, c'est à dire aux choses en soi..
Je considère toute force de la nature comme volonté. Le concept de volonté est le seul, parmi tous les concepts possibles, qui n'ait pas son origine dans le phénomène, dans une simple représentation, mais vienne du fond même, de la conscience immédiate de l'individu...
(...) Volonté, par où je désigne l'essence de toutes choses, le fond de tous les phénomènes.
Tout comme Kant, Schaupenhauer distingue la connaissance a priori de la connaissance a posteriori. L'espace, le temps et le principe de causalité sont des connaissances a priori, c'est-à-dire provenant du sujet connaissant. Ils ne sont pas dans le monde, mais sont des modalités de notre entendement. Les lois de la physique, par contre sont des connaissances a posteriori, c'est à dire tirées de l'observation que le sujet connaissant fait du monde.
Mais on ne peut pas observer sans oeil, on ne peut pas toucher sans mains, donc on introduit dans l'observation du monde que l'on fait notre connaissance  a priori. Les lois de la physique ne décrivent plus alors le monde tel qu'il est"en-soi" mais tel qu'il est dans la représentation que je m'en fais( "Le monde est ma représentation").
Nous évoluons donc au milieux d'apparences créées par nos modalités de connaissance et n'avons aucun moyen de connaître
le monde réel, mis à part notre corps. Notre corps est alors la porte d'accès au monde réel, qui n'est que volonté. La volonté est l'essence de toute chose. La volonté est donc en dehors de l'espace et du temps et ne répond pas à la causalité. La volonté n'appartient pas au monde des phénomènes mais est à l'origine de tous les phénomènes.
D'après Schaupenhauer, La volonté est une puissance unique sans raison et sans but qui caractérise l'essence du monde.
Effectivement pas facile de trouver des raisons à la direction que prend le monde, si le principe de raison même est en nous et non dans le monde.
Dans cette vision qui n'est ni matérialiste, ni dualiste, finalement on ne trouve pas grand chose dans le monde "en-soi", on ne sait pas si le vrai monde est totalement vide, rappelant la vacuité bouddhiste, car n'étant qu'une sorte d'envers de nous-même, avec notre conscience réduite en un point sans dimension. Ou s'il est remplit d'une sorte d'énergie donnant forme à tous les objets que nous nous représentons dans le monde.
Son approche, qui oppose sans ambiguité, le monde des phénomènes répondant aux lois de la physique et à la causalité qu'on y projette, à l'essence du monde (sa réalité en dehors de tout observateur) caractérisée par la "volonté" à l'origine de tout ce que nous nous représentons me convient bien.
Néanmoins, pourquoi présenter une vision de l'univers fondamentalement absurde issue d'une "volonté" qui n'a d'autre objet que de se battre avec elle-même à travers toutes les unités (individuation) phénoménales en perpétuelle lutte. Le monde est ainsi décrit comme le théatre d'un combat permanent sans issue possible et répétitif d'où ne sort que souffrance. Schaupenhauer était une sorte de précursseur des théories darwiniennes prônant le "struggle for life". La "volonté" fait ainsi naître des entités phénoménales dont le seul objectif est de survivre.  Dans la théorie de la sélection des espèces, effectivement, la primeur est donné à l'espèce plutôt qu'à l'individu. Ce qui compte, c'est que l'espèce survive dans son combat avec les autres espèces, et peu importe l'individu. Mais ce raisonnement est aussi valable entre les espèces, si ce qui compte alors est de préserver non pas l'espèce, mais la vie.
Mais que dire d'une "volonté" sans objectif ? Et pourquoi avoir choisi ce terme contenant implicitement une notion d'intentionnalité si c'est pour lui ôter in fine tout but ?
Pourquoi ne pas être moins nihiliste et reconnaître alors que la "volonté" de Schaupenhauer cherche l'harmonie, l'équilibre, et que cet état "stable" passe par des combats de jeunesse permettant de mettre en place les conditions nécessaires à l'obtention d'un tel état. Si la volonté est l'être-en-soi, le monde réel, l'Esprit, et que cette volonté est également en chaque homme, se traduisant dans notre capacité à agir volontairement sur le monde, pourquoi la présenter comme un combat vain et sans espoir d'avancée ? Ne faut-il pas lire malgré tout dans l'histoire du monde une construction plutôt qu'une reproduction sans fin des mêmes combats ?
Le monde est-il un perpétuel recommencement (un "éternel retour" cf Nietzsche) ?
Effectivement si seul le présent existe, car l'essence du monde est a-temporelle et le temps une simple modalité de notre entendement, alors comment penser le présent, rempli de souvenirs du passé ? Comment concevoir une réalité phénoménale dont l'enchaînement des causes ne serait qu'une illusion de notre entendement ? Et dans quoi s'inscrirait notre naissance et notre mort ?
Il me semble que la science, à travers les modèles de big-bang a enfin posé les jalons de l'historicité de l'univers, et que désormais on ne peut concevoir le monde comme simplement un renouvellement récurrent de formes à l'apparence différenciée. Effectivement le big-bang ne parle que du phénoménal, et donc que penser de cette historicité du monde si le temps lui-même n'est qu'une de nos manières de se le représenter ?
Le big-bang met un point de départ à l'espace et au temps, donc à la causalité et à la venue de la matière. Donc une origine au monde phénoménal. Ce qui voudrait dire alors qu'avant il n'y avait que la volonté pure, l'essence du monde comme totalité du monde.
Mais si l'espace et le temps sont des modalités de notre conscience, quel est alors ce temps et cet espace "absolus" dont on parle pour expliquer nos origines qui étaient là bien avant que soit né le premier observateur ? Sont-il eux aussi simplement des façons d'expliquer les choses sans aucune réalité ? Pourtant comment interprêter les faits d'observation astronomiques qui retracent de loin en loin l'histoire du big bang si le temps n'est pas ?
Notre présent est réduit à un point de notre conscience. Tout ce qui nous entoure appartient au passé, superposé en pelures d'oignons, ou plus exactement et un flux continu centripète d'informations venues du passé avec un décalage temporel proportionnel à la distance. Ceci est dû à la finitude de la vitesse de la lumière.
Ce qui veut également dire que les deux extrémités d'un bâton sont liés causalement avec un léger décalage temporel correspondant au temps que met la lumière à parcourir la distance les séparant (6.66 10^9 secondes pour un bâton de 2 mètres). Mais que penser alors d'un objet dont la continuité matérielle est formée par une succession de molécules situées de proche en proche dans des temps différents ? Car la transmission des forces assurant la cohésion de l'ensemble est elle aussi soumise à la vitesse limite de la lumière. Donc il y a un retard "causal" dans l'interaction de chaque molécule et sa voisine.
Et un objet qui n'est pas dans le même temps qu'un autre est-il toujours dans le même espace "absolu" ? L'espace englobe-t-il tout, y compris le passé, ou est-il restreint au présent donc à un seul point ? Mathématiquement, en faisant le parallèle avec la géométrie, en chaque point du temps il y a un espace différent, tout comme en chaque point d'une ligne passe un plan différent.
Si on garde l'analogie mathématique, alors en chaque instant, l'espace ne peut contenir que le présent, qui lui-même est réduit à un seul point à cause de la limite causale. Donc l'espace "absolu" du temps présent est vide à part la présence en un point d'une conscience sans dimension ! Mais ce raisonnement peut se tenir en n'importe quel instant : l'espace "absolu" sera toujours vide.
Seul l'espace relatif à notre conscience est rempli car il intègre dans une vaste illusion de simultanéité le présent et le passé "causal".
Du coup, il est vain de parler d'absolu quand on évoque l'espace ou le temps : ils sont tous deux nécessairement liés à la conscience d'un observateur qui explique le monde causalement à partir de son point de vue "central". Notre conscience est ainsi le point de départ incontournable à tout explication de la création de l'univers. L'univers est anthropique : il ne peut donc s'expliquer sans qu'il puisse produire un homme doué de conscience pouvant le penser. Le monde est bien ma représentation !
Que le big-bang soit solitaire ou multiples, cyclique ou unique, cela ne change rien : la volonté a produit du phénoménal. Et notre appartenance au monde en tant que corps et volonté en est la preuve.
Si le monde n'était que matière nous n'aurions pas de volonté : nous ne pourrions agir sur le monde ni être conscient de quoi que ce soit.
Si  le monde n'était que volonté nous n'existerions pas : nous n'aurions pas un corps-objet localisable dans le temps et dans l'espace.
Le monde est alors nécessairement composé de cette dualité, que Schaupenhauer appelle volonté et phénomènes.
Mais à partir du moment où il met le principe de raison dans les connaissance à priori, Schaupenhauer ne peut alors évidemment trouver une quelconque raison à la volonté. Pourtant le monde phénoménal répond à des principes : le principe de causalité n'est pas empirique il est donc "à priori". Par contre le principe de conservation d'énergie est empirique il est donc "à postériori" car tiré de l'observation. Ce qui ne veut pas dire non plus qu'il appartient au monde "en-soi" car il est la résultante de notre entendement et de la réalité phénoménale. Ce principe qui sous-entend que l'univers contient une grande quantité constante d'énergie pouvant se présenter sous une forme ou sous une autre s'impose à nous en tant que mécanisme incontournable du monde phénoménal. Mais il sous-entend également que derrière toutes les formes qui nous sont donné de percevoir, il y a une quantité immuable sans historicité car constante, à l'origine des phénomènes.
L'énergie est là sous une forme ou sous une autre mais est toujours là derrière le phénomène. L'énergie est là, en dehors du temps et de l'espace. Elle est éternelle, c'est pour cela qu'elle se conserve. L'énergie est la mesure unifiée des différentes formes de mouvement. En fait c'est la quantité de mouvement qui se conserve. Et le mouvement est ce qui donne la forme aux phénomènes. Le monde en-soi est un mouvement perpétuel pouvant prendre successivement différentes formes phénoménales.
Le monde en-soi est effectivement une puissance unique faite de mouvements purs. Mais ces mouvements donnent forme au monde et construisent quelque chose, au moins nous, faits d'esprit et de matière.  Notre présence au monde et un passage obligé de ce monde-là, qui serait autre si nous n'étions pas là, donc nous sommes au moins un but provisoire. Nous somme peut-être une étape intermédiaire, mais sûrement pas un hasard. Car notre venue est inscrite dans l'auto-organisation apparente de la matière.
L'avènement de l'homme tient plus de la fatalité que du miracle...
Patrice Weisz



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